Plongée dans les aires marines protégées

DES ÉCOSYSTÈMES RICHES MAIS MENACÉS

La dégradation des zones côtières est l’une des plus graves crises de la biodiversité à laquelle nous sommes confrontés. Historiquement, la plupart des sociétés humaines se sont installées à proximité du littoral. Aujourd’hui, 44 % de la population mondiale habite à moins de 150 km de la côte, là où la biodiversité marine est la plus importante. Les récifs coralliens occupent, par exemple, moins de 0,1 % des océans, mais ils abritent environ un million d’espèces multicellulaires, dont 6 000 espèces de poissons. Cependant, la destruction des habitats, le déversement de polluants, la surpêche, le changement climatique et l’introduction d’espèces exotiques sont autant de menaces pour ces écosystèmes marins côtiers. Ainsi, en Méditerranée, plus de la moitié des espèces de raies et de requins sont déjà menacées d’extinction selon l’UICN.

DES MESURES DE PROTECTION À ÉVALUER

Les Aires Marines Protégées (AMP) sont des espaces où les activités humaines sont régulées pour assurer le maintien de la biodiversité et des services associés. Elles couvrent près de 8 % des océans, alors que le “Plan stratégique pour la diversité biologique”, ratifié à Aichi en 2010, fixait un objectif de couverture à 10 % d’ici 2020 pour chaque pays. De plus, dans de nombreuses AMP, les restrictions restent très limitées. Pour faire face à l’expansion rapide des activités humaines et à la perte de biodiversité marine, un accord mondial pour la nature, récemment proposé par une large coalition d’organisations environnementales, ambitionne désormais une protection de 30 % des océans d’ici 2030.

Néanmoins, pour évaluer les bénéfices des AMP existantes, en créer de nouvelles et mesurer les impacts humains sur la biodiversité, il est nécessaire de disposer d’inventaires fiables.
Au cours des dernières années, de nombreuses méthodes ont été déployées pour le suivi des espèces marines côtières. Cependant, la plupart d’entre elles sont destructives (pêche ou produit chimique), limitées en profondeur (< 30 m) et en surface échantillonnée (plongée), ou nécessitent du matériel lourd et de nombreuses heures d’analyses (vidéo sous-marine). De plus, tous ces protocoles sont invasifs et peuvent être biaisés par une fuite des animaux les plus méfiants (requins) ou la non-détection des plus petits (poissons crypto-benthiques).

DE NOUVEAUX INDICATEURS DE BIODIVERSITÉ

Depuis 2018, des membres de Vigilife développent une nouvelle génération d’indicateurs de l’état de santé des masses d’eaux côtières basés sur l’ADNe. Des prélèvements d’eau ont notamment été effectués à l’intérieur de 6 AMP méditerranéennes ainsi qu’à 5 et 10 kilomètres à l’extérieur de ces dernières pour y détecter les espèces de poissons présentes le long d’un gradient de pression humaine.

Les AMP ne présentent pas une plus grande diversité en poissons que des sites voisins non protégés.

En parallèle, une base de références génétiques des poissons de Méditerranée a été développée pour pouvoir assigner les fragments d’ADNe filtrés. Une très grande diversité d’espèces a pu être observée (> 100), avec un résultat majeur et contre-intuitif à la clé : les AMP ne présentent pas une plus grande diversité en poissons que des sites voisins non protégés. En revanche, les espèces ne sont pas les mêmes : les sites protégés présentent plus d’espèces pélagiques et commerciales, alors que leurs homologues non-protégés ont plus d’espèces crypto-benthiques (taille < 10 cm). Cette découverte suggère qu’une mosaïque de niveaux de protection permettrait de maintenir une plus grande biodiversité à l’échelle régionale.

EXTENSION AUX ÉCOSYSTÈMES CÔTIERS PROFONDS

Dans le cadre de Vigilife, de nombreuses masses d’eau côtières vont être étudiées afin de suivre dans le temps l’effet des AMP mais aussi de contribuer à en définir de nouvelles. L’ADNe permettra également d’étendre les habitats échantillonnés aux zones plus profondes où les méthodes classiques sont limitées. En effet, ces habitats mésophotiques et rariphotiques (de 30 à 300 m) sont habituellement ignorés dans les suivis mais offrent potentiellement un refuge à différentes espèces : la pression de pêche y est moindre et les effets du changement climatique atténués.

© Laurent Ballesta